PARU DANS LE MAGAZINE 7 (2024)

LE BRIEF EN BREF
Le magazine 7 traite à chaque numéro de l'un des 7 péchés capitaux sous le prisme de l'art, de la culture populaire et de la publicité. Dans cette édition consacrée à la luxure, les fondatrices de la revue m'ont offert l'opportunité de traiter la luxure sous l'angle de la publicité. J'y ai vu une occasion de m'amuser.

LA REVUE DE FESSES
La luxure dans la publicité ? Vaste sujet. Si le sexe fait vendre, qu’en est-il vraiment des charentaises et des Toyota Prius ? Le corps des femmes dans la pub, objet de désir, d’expression ou de « oh putain la gonzesse » ? Si Don Draper ressemblait à Booder, est-ce que Mad Men aurait 4,2 étoiles sur Allociné ? Autant de questions auxquelles je n’aurai pas à répondre, puisque ce que je vous propose dans ce dossier, c’est une revue de presse de la publicité au sein des « magazines de charme » des années 70 aux années 2000. Voilà un intitulé de mémoire un peu pompeux pour décrire réellement l’activité à laquelle je me suis prêté pour vous. Pour faire simple, j’ai feuilleté des magazines de cul, et voilà ce que j’en ai retenu.
Afin de rédiger ce dossier, j’ai commencé par acheter sur Leboncoin tout un tas de magazines froissés à des personnes que j’imagine être des froisseurs. À noter qu’Internet a cet avantage de garantir l’anonymat à tous ceux qui veulent accéder à la presse masculine, sans avoir à soutenir le regard du buraliste et à sortir de son commerce la queue basse. Quelques semaines après ma commande, je recevais ainsi ma documentation sous enveloppe bulle. Lui, Playboy et Newlook, me voilà bien entouré. Fini les préliminaires, on va pouvoir entrer dans le vif du sujet.
Le début de notre charmant voyage commence dans les années 70. Lui et moi sommes face à face. Si on ne doit en général pas juger un livre à sa couverture, je ne suis pas sûr que cela s’applique à la presse de charme. Alors je juge. Coupable ! La jeune modèle a pris perpet’, à jamais jeune et belle sur sa couv. Je m’apprête à ouvrir le numéro. Mais à quel genre de publicité peut-on s’attendre dans ce genre d’ouvrage ? Procédons méthodiquement, après tout c’est bien pour la science que je me lance dans cette aventure.
Hypothèse n°1 : je refuse de croire que je ne vais pas y trouver une petite accroche évocatrice sur Yvone fumant des cigares ou sur Ronan enlevant la béquille.
Hypothèse n°2 : entre puritanisme et libération des mœurs, discours de Pompidou et albums d’Abba, on peut s’attendre à tout de la part des années 70. La méthode scientifique je vous dis !
Hypothèse n°3 : Rien que ça fume, rien que ça tise, rien que ça s’prend pour Alicia Keys.
Passons donc à l’experien… bingo. Page 2, juste là sous mes yeux. Une sosie de Bardot coincée dans un masque d’écrêtage en forme de lame de rasoir me regarde droit dans les yeux : « laissez-moi vous caresser… ». Si nous en sommes déjà là madame, autant se tutoyer. L’hypothèse numéro 1 est d’ores et déjà validée. Cette première publicité ne laisse aucun doute sur le public de la revue : des hommes en âge de se raser. En tout cas, nous sommes bien dans les années 70 : la réclame glisse doucement vers la publicité. On y retrouve beaucoup (trop) d’arguments commerciaux, dont l’idée principale selon laquelle la lame ne rase pas, elle « caresse ». Ok, pourquoi pas. Jusque-là j’achète. Enfin, juste avant qu’on me précise qu’elle a subi 17 façonnements et 3 affûtages. Je m’en fûte royalement et je passe à la suite.

Pas besoin d’aller beaucoup plus loin dans le magazine pour trouver cette publicité pour Très-Près. Le dentifrice pour être sûr de vous-même de très près ! Très près ! Très près. Très près… Mentionné 11 fois sur la même page. Quand même. Petite aparté sur la proxémie. Il s’agit de la distance sociale – physique - que nous sommes prêts à accepter en fonction de la relation que nous avons avec notre interlocuteur. Nos amis se situent dans la sphère personnelle, quelque part à une distance de notre visage comprise entre 45 et 135 cm. La sphère intime se trouve quant à elle entre 15 et 45 cm, et nous la réservons en général aux personnes avec qui nous copulons - mot bien pudique pour une revue de fesses je vous l’accorde. Tout cela pour vous dire que le consommateur de Très-Près COMPTE BIEN CHANGER DE CERCLE ET PAS PLUS TARD QU’APRÈS AVOIR BROSSÉ SES CHICOTS MA GRANDE. Hypothèse numéro 2 : check.
Au détour des pages, je rencontre Carole qui a l’air d’occuper une position absolument centrale dans ce magazine. Au dos de Carole, je découvre une rubrique intitulée « Souriez-lui ». Je lis :
« Un garçon fait un devoir d’histoire chez lui. Il demande à son père :
Qui a battu les Sarrasins à Poitiers, papa ?
Je ne sais pas, dans quelle division jouent-ils ? »
Voilà. Pas sûr que ça batte « t’as une tâche pistache », mais c’est sans nul doute une excellente technique d’approche.
Alors que je me laissais jusqu’à la fin du numéro pour confirmer ou infirmer la troisième hypothèse, la démonstration est sans équivoque : je n’avais pas vu autant de clopes et d’alcools depuis les Tontons Flingueurs. C’est d’autant plus flagrant que la marque qui m’a obligé à dresser ce constat s’appelle… Perrier. Après avoir vu défiler les bouteilles de Campari, de Kriter et de Kro, les paquets de Dunhill, de Craven et de Winston, c’est bien une foutue eau gazeuse de tennisman qui lèvera tous les doutes. « Perrier se sert avec un zeste… d’insolite ». Ah vous dites comme ça vous ? Pour accompagner l’accroche, la marque nous livre sa propre recette baptisée « Agrumovka » :
- Un demi-verre de jus de fruit : « ce qui vous tombe sous la main »
- La même quantité de Perrier
- Et pour accompagner ces deux demi-verres – boire ou compter, il faut choisir – une larme ou une rivière d’alcool blanc suivant les goûts. Et puis bon, si la terre battue a un peu trop pris l’eau, autant partir sur une cascade.
Le jour où vous organisez un atelier cocktail en suivant les recettes Perrier, je vous conseillerais tout de même de pousser les meubles et de cacher la télé, parce que ça risque de tabasser. Je referme Lui, fin du premier acte.


C’est un véritable bond dans le temps que nous allons opérer maintenant. Mais quoi de plus naturel afin de découvrir ce que nous réserve la revue au lapin. Nous sommes donc à la fin des années 80, et tout laisse à croire que la femme en couverture l’est jusqu’au bout des seins.
Partons cette fois sans a priori sur l’une des périodes les plus bankable du XXème siècle. Dans les eighties, Lady D est au sommet de sa gloire, E.T. téléphone maison et Hugh Hefner n’est pas encore un vieux cochon en peignoir, mais un chaud lapin en costume. En France, ce sont les années Mitterrand. Jacques Séguéla catapulte des Citroën depuis des porte-avions, Indochine chante l’Aventurier et la publicité vit son âge d’or. À nous d’en juger.
Une fois n’est pas coutume, c’est en page 2 qu’on ouvre les hostilités. Une femme torse nu y pose pour des caleçons et m’invective : Si tu touches à mon Coup de Cœur, je te bute. Je vois que le tutoiement est désormais de rigueur. Il semblerait qu’en une quinzaine d’années nous soyons passés des blondes mielleuses aux brunes bagarreuses. C’est peut-être du bluff… Mais son environnement laisse à penser qu’elle se trouve sur une plage. En Thaïlande peut-être ? À côté du camp d’entrainement ou elle massacre un punching bag de ses jolis tibias ? La garde est basse mais je ne prends pas de risque, je préfère passer à la suite.

Il semblerait que le terme « d’âge d’or de la publicité » prenne tout son sens au fil des pages de Playboy. Si la loi Evin de 1991 - qui contraindra assez sévèrement les pubs pour l’alcool et le tabac - n’est pas encore passée par là, un dénominateur commun se dégage d’un certain nombre de publicités au sein du magazine : le flouze. Voici comment derrière une photographie d’Alain Delon faisant la promotion de sa propre paire de lunettes, nous pouvons retrouver une publicité pour le caviar Petrossian, dont l’entrée de gamme si situe approximativement à 3000 €/kg de nos jours. Et bah mes lapins. Entre montres de luxe, berlines de diplomate, Champagne blanc de blanc et voyages au bout du monde, le temps que monsieur arrive au poster central, il est déjà tout excité… Alors imaginez un peu lorsqu’il arrivera à Marie-Anne, la femme araignée en page 65.
En 3ème page de couverture, je ne suis qu’à moitié étonné de retrouver une publicité pour ceux qui ciblent les charos depuis près de 40 ans : Axe. Si elle n’a pas encore succombé, essayez Axe. Voilà un produit pour lequel le terme « eau de toilette » semble tout trouvé. Si elle n’a pas encore succombé, sentir les chiottes à 3 bornes ne risque hélas pas d’aider. N’importe quel mec ayant fréquenté un vestiaire d’EPS le sait : Axe tient moins du déo que de la bombe lacrymo. Finalement, une bouteille de ce machin ne t’aidera sans doute pas à rentrer accompagné, mais elle te fera te sentir en sécurité quand tu rentreras seul de ton date raté.

Avec Newlook, je change de siècle. Me voilà donc en 2002, et si j’en crois la mention « À découvrir : le porno virtuel », le bug de l’an 2000 n’a pas eu lieu. En Une quelques mots-clefs : « CRASH », « SEXE À DONF », « CHARLY ET LULU », je me sens en terrain conquis.
Passage obligé en 2ème de couv pour découvrir une publicité pour un FPS sur PC « Conflict Desert Storm ». Cette fois-ci, c’est un type en treillis et au visage bariolé qui m’hurle dessus, sans rien me dire pour autant. L’agressivité monte encore d’un cran en seconde page, je n’ose même pas imaginer ce que me réserverait la presse actuelle. Annule et remplace – je tiens à amender ma précédente analyse de la page 2 : Il semblerait qu’en une trentaine d’années nous soyons passés du vouvoiement et des caresses, aux hurlements et aux M16.
Deux pages plus loin je retrouve une publicité pour Ballantine’s. Puis une pub pour Tekken 4. Je commence à comprendre où j’ai mis les pieds. Newlook est un magazine de branleurs. Du genre qui traine sur la table basse du salon entre un grinder, un bol de Chocapic et quelques mouchoirs usagers.
Fini le charme et la subtilité, les publicités de jeux-vidéo et de films d’actions côtoient des nanas qui s’exposent, des avions qui explosent, des toréros qu’on empale et des voitures qu’on tune. Sans surprise, je n’y retrouve aucune publicité pour Gillette ou pour Cartier. Sans doute parce que le public de Newlook n’a ni barbe, ni pouvoir d’achat. Ce que j’observe ici, c’est l’avènement de la pop culture, de la sensation forte et de l’expérientiel. Ce qui compte, c’est Jean Reno dans Rollerball, Brad Pitt dans Spy Game et Vin Diesel dans xXx. 2002 a visiblement constitué le ventre-mou du cinéma d’action.
Quand Lui interview Arrafat, Newlook fait dans le publi-rédactionnel en nous livrant la recette du style de « l’espion moderne » habillé en G-Star. Finalement, c’est peut-être ça la grosse innovation publicitaire de ces magazines en ce début de XXIème siècle. Une pratique qui, de fait, fait drastiquement fondre le nombre de pubs au sein de la revue. Un mal pour un bien ? Je vous laisse en juger. En tout cas me voilà rassuré de savoir que personne n’a élaboré de son plein grès un look full jean censé nous permettre de « suivre notre cible tout en suivant la mode ». Je doute assez franchement de l’efficacité d’un tel camouflage, à l’exception près que votre cible bosse en frip’.
Nous arrivons au terme de cette revue de fesses. Mais alors que retenir de cette expérience ? Oui c’est vrai, j’ai fait face à un peu d’humour douteux. Mais est-ce vraiment étonnant de la part de personnes coupant leur Perrier à la vodka ? Ce que je pense avoir trouvé dans ces magazines, c’est avant tout une bonne dose de désinhibition, accompagnée d’une grosse poignée d’euphorie. Et c’est peut-être là que réside mon unique leçon. Je crois que ceux qui ont ouvert ces magazines avant moi, l’ont fait avec la vocation de passer un bon moment. Bien que j’ai sans doute abordé cette presse un peu différemment, j’ai tout de même l’impression qu’à mon tour je leur ai emboité le pas, et j’espère avoir réussi à vous y embarquer avec moi.